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CLIO

FRANCE

CLIO "L'amour hélas"

Navrée et mutine à la fois, Clio a quelque chose d’une Barbara rewritée par Marguerite Duras ou d’une Lio revue par Nick Cave. La ville est endormie, le mec n’a rien compris, l’automne dure toute l’année et elle prend des notes sur un ton calme et cinglant, qu’elle dépose sur la houle de claviers et de boîtes à rythmes flegmatiques. "L’Amour hélas", le troisième album de Clio, parle de couples qui se séparent, qui se sépareront ou qui se sont séparés. On a quitté Paris, on part en voyage à Berlin, on revient à Paris puis finalement non. Il pleut, on devrait être malheureux mais il n’y a pas de quoi, puisque de toute façon ça finit toujours comme ça...Et ces chansons désolées sont très douces. Il y flotte un sourire opiniâtre derrière les constats de faillite, une ironie obstinée derrière les larmes... « Je ne fais pas de chanson humoristique, admet-elle. C'est une tendance naturelle que d’aller vers les choses graves – un tout petit peu graves, mais pas trop quand même. » Tout Clio est là : l’œil heureux braqué dark side of the moon, le regard facilement malicieux posé sur l’enchainement des désastres du cœur. On le savait depuis son premier album éponyme en 2016, et Déjà Venise l’avait confirmé en 2019 : Clio dessine une carte du Tendre contemporaine et post-romantique à la fois. Elle croit en l’amour tout en sachant qu’il n’y faut pas croire, un peu comme jadis des personnages de Truffaut ou de Rohmer (d’ailleurs, beaucoup l’ont découverte avec sa chanson « Éric Rohmer est mort » en 2016). Le ton ressemble d’ailleurs souvent à ces chansons de Rezvani découvertes dans les films de la Nouvelle Vague, aussi radieuses que contrites. On a pris d’abord ses chansons pour des fragments d’autobiographie à la guitare. Il ne fallait pas.

Certes, elle habite bien ses textes mais elle n’a pas autant de chagrins d’amour qu’elle en chante. Tout vient de l’écriture, plaisir ancien et métier récent. Clio est de Besançon. « Une famille joyeuse. Trois frères et sœurs, des parents profs très contents de s'occuper de leurs enfants. J’ai commencé très tôt à écrire. La musique, j’ai commencé vers vingt-cinq ans, mais seulement comme support pour écrire des chansons. » Elle a beaucoup écouté Alain Souchon et Barbara, puis plus tard Vincent Delerm et Alex Beaupain, sans penser à devenir chanteuse elle-même. « Quand j'ai rencontré l'écriture de chansons, je me suis rendu compte que c'était exactement le format qui me convenait dans l'écriture. Raconter sur un format court, en très peu de mots... » Elle découvre aussi une écriture dans laquelle mots et musique viennent ensemble, indissolublement liés. Voilà aussi pourquoi les arrangements de son troisième album épousent autant les phrases et le souffle de Clio. Ses complices Florian Monchatre, Augustin Parsy et Paul Roman, qui alternent pour l’accompagner sur scène, ont arrangé ses dix nouvelles chansons avec des claviers vintage, des nappes faussement rêveuses, des tourneries qui jouent à l’indifférence. Et puis il y a le miracle de "L’Appartement", chanson qu’elle rêvait en duo, et pour laquelle a craqué Iggy Pop. Clio chante en haut de sa tessiture et l’icône américaine descend plus bas que jamais – « Je n’espérais pas qu’il s’intéresse à cette chanson en français mais tout s’est passé avec beaucoup de générosité. Il a même refait sa voix parce qu’il n’en était pas content. »

Entre spleen tendre et tendresse amère, entre ivresses abandonnées et abandon amoureux, Clio navigue avec une douceur à la fois triste et vaillante. C’est une mélancolie qui ragaillardit, une revue de désastres paradoxalement confiante, avec des refrains qui s’incrustent et des images subtilement. dessinées. Pop, chanson ou littérature, peu importe ; Clio vit la vie de tout le monde, quelque part dans une ville avec des enfants, et cela devient des œuvres d’art. ce n’est franchement pas un chagrin, que si souvent dans la vie survienne l’amour, hélas. Heureusement. Bertrand Dicale